Contrôle

Pardonnez-moi de ne pas sauter de joie à l’idée de voir une nouvelle région du Québec mettre en place les fameuses coévaluations paramédic-infirmière. On veut nous faire croire qu’il s’agit là d’un progrès. En théorie, peut-être. En pratique? C’est une couche de bureaucratie de plus dans un système déjà en train de craquer.
L’idée de départ semble raisonnable : éviter d’envoyer systématiquement tous les patients à faible priorité vers les urgences en demandant aux paramédics de téléphoner à une infirmière pour coévaluer la situation, et peut-être rediriger la personne vers une autre ressource plus appropriée.
Mais cette belle logique s’effondre dès qu’on la confronte à la réalité du terrain.
Les paramédics au Québec sont formés pour évaluer, traiter et prendre des décisions cliniques — souvent dans des contextes beaucoup plus critiques que ces appels à faible priorité. Pourtant, on leur demande d’interrompre leur intervention, d’attendre au bout du fil, et de s’en remettre au jugement d’une infirmière qui n’a jamais vu le patient, pour valider une décision qu’ils sont déjà pleinement en mesure de prendre.
On appelle ça de la coévaluation. Moi, j’appelle ça de la méfiance institutionnalisée.
Cette procédure ne fait que ralentir le travail, répéter des évaluations déjà faites, et créer des délais inutiles alors que les appels au 9-1-1 augmentent, que les temps de réponse s’allongent, et que plusieurs régions attendent désespérément des ambulances.
Soyons honnêtes : ajouter des infirmières à ce processus n’a rien à voir avec une volonté réelle d’améliorer les soins. C’est une question de contrôle. C’est un moyen de garder les décisions cliniques à l’intérieur des murs du réseau, plutôt que de reconnaître que, sur le terrain, les paramédics sont les cliniciens. Ce sont eux qui sont au chevet du patient. Ce sont eux qui doivent rendre des comptes.
Si le gouvernement souhaite véritablement moderniser le système préhospitalier d’urgence et désengorger les urgences, ce n’est pas plus d’encadrement qu’il faut — c’est plus de confiance. Des outils, des accès clairs aux bonnes ressources, et surtout, une autonomie clinique adaptée à leur expertise.
Rediriger un patient ailleurs qu’à l’urgence, quand c’est approprié, est une bonne idée. Mais ce geste ne devrait pas dépendre d’un coup de fil, d’une validation externe ou d’un algorithme. Il devrait découler du jugement clinique de celui ou celle qui est sur place, qui voit le patient, qui comprend le contexte.
Les infirmières ont un rôle essentiel à jouer dans notre système de santé. Mais ce rôle ne devrait pas consister à surveiller les décisions de professionnels tout aussi compétents.
Les paramédics ne réclament pas un privilège. Ils demandent à exercer leur jugement, avec humanité, discernement, et l’expérience qu’ils ont acquise à force d’être confrontés, jour après jour, aux réalités du terrain.
Il est temps de les écouter.