La Chronique de Tammy Style : L'automne
L’automne
Nous venons à peine de voir les premières couleurs aux feuilles des arbres. Même s’il s’annonce anormalement chaud, nous sommes bel et bien arrivés à cette période tant aimée par les amateurs de randonnées, de boissons chaudes et de cols roulés.
Déjà!
Nostalgique, je suis stand-by dans mon bolide jaune, sirotant un latté à la citrouille épicée.
Nous recevons un appel d’urgence pour un enfant qui a été blessé dans une circonstance qui, pour l’instant, n’est pas expliquée. On mentionne une hémorragie grave dans une région potentiellement dangereuse.
Le latté attendra.
Sirènes et gyrophares hurlantes, nous nous rendons au domicile de l’enfant en danger, pied au plancher. En arrivant sur les lieux, il s’avère après appréciation de la situation que la blessure n’est finalement pas si dramatique. Ça a beaucoup saigné sur le coup, c’est bien ouvert et nécessitera quelques points. Papa et maman ont eu toute une frousse mais la vie de notre jeune personne n’est pas en danger.
Nous reprenons donc (plus tranquillement cette fois) la route vers le centre hospitalier.
À notre arrivée à l’hôpital, plusieurs ambulances sont en file devant nous, en attente du triage infirmier. On en demande curieusement à nos collègues depuis combien de temps ils attendent:
37 minutes.
58 minutes.
1 heure 40.
Décidément ça promet.
Voilà donc trois véhicules ambulanciers à la file, six paramédics et trois patients qui patientent. Il y a même des stagiaires. Et bien des gens de l’autre côté du rideau aussi, en attente du triage tout comme nous.
Devant, un membre du personnel nous lance joyeusement: « Bienvenue à l’asile! »
Décidément ça promet.
Le temps passe invariablement, inlassablement et le pansement finement installé au domicile du patient commence maintenant à s’imbiber de son sang. Même si la plaie n’était plus hémorragique à notre arrivée, l’attente aura eu raison de notre pansement compressif. Comme mentionné, cette plaie nécessitera plusieurs points et une longue convalescence pour retrouver une peau à peu près belle et une mobilité complète.
Le matériel est dans le véhicule ambulancier, la maman se questionne. Personne ne nous regarde, à part les autres patients qui patientent au corridor. Mes yeux croisent ceux de ma partenaire: nous devrons faire ce qu’il faut.
Décidément ça promet.
20 minutes que nous sommes sur place. Nous prenons les ondes pour avertir le répartiteur du délai, l’avertissant ainsi que nous nous serons absolument pas en mesure de nous libérer si jamais un autre appel d’urgence survenait dans notre secteur. Secteur complètement à découvert depuis notre sortie, puisque nous ne sommes que deux en après-midi.
L’autre équipe était déjà sur un appel quand nous sommes partis en hurlant.
Ma jeune partenaire me demande d’un air curieux ce qui arrive avec notre secteur quand toutes les ambulances sont retenues au centre hospitalier, comme en ce moment. Moi de lui répondre un air entendu ce sont d’autres secteurs qui viendront nous couvrir, mettant ainsi leurs propres secteurs à découvert aussi et qu’un effet boule de neige s’en suit souvent. Ça part de plus loin, parfois de d’autres compagnies ambulancières avoisinantes.
Pour le prochain appel d’urgence, il y aura immanquablement des délais. Et si un autre appel rentre ensuite, il y aura encore plus de délais.
Mais bon, c’est encore l’automne, nous sommes toujours en attente.
Se voulant rassurante, une autre membre du service hospitalier lance à son tour: « Au moins, pendant que vous êtes ici vous n’en ramenez pas d’autres! »
Marie-Ginette, si seulement tu savais que ça ne fonctionne absolument pas comme ça. Les problèmes de santé physique, les envies suicidaires et les accidents de la route continueront à rentrer, que l’ambulance soit disponible ou non.
C’est seulement la vie des patients ou du moins, leur espoir de s’en sortir avec le moins de séquelles possible qui s’en trouve affecté.
Mais ça, Marie-Ginette ne le sait pas. Elle ne connaît pas du tout la réalité des services préhospitaliers au Québec, comme nombre de ses collègues à l’hôpital.
Marie-Ginette croyait bien faire avec sa blague mais… disons qu’on ne l’a pas ri.
Décidément ça promet.
Autour de notre jeune patient de demander si ça sera bientôt son tour. Malgré la permission spéciale à jouer sur le cellulaire de maman, il commence à avoir faim, avoir soif, avoir envie de pipi, demander la télé, avoir envie de se gratter. Il semble que l’ambiance du corridor ne soit pas un divertissement à la hauteur.
Tout ce qui peut inquiéter une jeune personne de six ans quoi.
J’ai envie de rassurer sa mère en lui disant mon traditionnel « Ça ne sera pas bien long, nous allons être triés ».
Habituellement, j’arrive à trouver une formulation qui ne fasse pas trop peur, qui ne soit pas trop décevante mais pas cette fois.
Je lui avoue la triste vérité: « J’aimerais vous dire que ça ne sera pas long mais c’est probablement faux alors je vous dirais que… on attend. »
Et que décidément ça promet.
Entre-temps, l’infirmière débordée a dû aussi trier des personnes arrivées sur pied qui attendent pour expliquer leurs problèmes. Elle est seule au triage, ils sont visiblement en sous-effectifs dans le département et ça aussi, ça allonge donc les délais.
Finalement, c’est plus de 57 minutes plus tard que notre tour arrive enfin. Son pansement de nouveau changé, petite personne a toujours faim, soif et envie de manger.
Nous allons ouvrir le dossier, remettre les cartes d’identité à la maman. Il nous reste à leur souhaiter une bonne soirée, soirée qu’ils commenceront avec la perspective d’une attente moyenne de 25 heures, selon le personnel à l’inscription.
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En ce début d’automne, retrouvant mon latté (froid) à la citrouille épicée, quoi penser de cet événement.
Comment ça aurait pu mieux se passer ? Pourquoi est-ce que les paramédic n’ont pas leur propre salle de triage ?
Pourrions-nous alléger la situation en faisant nous-mêmes le triage: la retranscription de nos propos, de nos patients et de nos gestes. Sommes-nous capable de rentrer à l’ordinateur nos propres informations, nos signes vitaux, nos gestes avec ce patient dont nous avons charge depuis plus de deux heures parfois ? Qui est mieux placé que nous pour savoir exactement ce qu’a eu le patient ce qu’il a dit dans quel contexte à quelle heure ?
La plupart du temps, c’est dans la salle d’attente que le patient se retrouve après triage. Ou encore, si certaines civières au cubicule sont disponibles, en fonction de la situation, l’infirmière va peut-être pouvoir y installer la personne, en attendant de voir le médecin.
Pourquoi devons-nous alourdir la tâche des infirmières, leur faire retranscrire sur leur écran mot pour mot l’événement, que nous avons constaté, vécu.. senti ?
57 minutes d’attente.
Notre seule unité aurait économisé une heure, sans prendre de place dans le corridor, sans déranger la fluidité de l’accueil. Loin de minimiser leur travail, l’infirmière sur place aurait pu justement se concentrer sur le triage des patients ambulants. Au final, notre patient aurait continué son attente au même endroit, le meilleur pour sa situation. Sans lourdeur ajoutée.
Oui mais, et les erreurs de triage, me direz-vous ?
Une erreur de triage, un mauvais classement, une notion manquée ou juste un changement dans l’état, non perceptible à l’arrivée. Un patient qui perd connaissance dans la salle d’attente, ça c’est déjà vu à combien de reprises.
Peu importe qui tape à l’ordinateur, l’infirmière ou n’importe quel humain habileté à le faire.
C’est pour ça que ça s’appelle le facteur humain d’ailleurs.
Un triage dédié aux paramédics effectué en toute reconnaissance de leurs compétences, de leurs connaissances. Reconnaissance du temps passé avec le patient, de la prise en charge à même le milieu de vie et de nos capacités aussi diverses, que polyvalentes et dynamiques. On nous fait confiance pour prendre en charge moult situations d’extrême urgence.
Mais pas pour retranscrire un rapport sur un ordinateur d’hôpital.
Décidément ça promet.
À tous, soyez prudents, bon road trip pour aller voir les couleurs en famille.
Prenez soin de vous!
-T-
*Note: L’identité du patient a été modifiée pour conserver la confidentialité. Le reste des détails sont malheureusement tous authentiques.
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